La Mode suit la
couture.
Cela explique
assez bien tout d’ abord. C’est a dire que la coiffure sera déterminée par la
toilette, que le chapeau sera le complément et le couronnement de la robe , la
touche suprême ,le rehaut victorieux et définitif ,qui ne pourra être décidé
qu'en dernier lieu ,après que tout le savant artifice du costume aura été arrêté
et réglé dans ses moindres linéaments.
C'est une
collaboration séparée, d'une nature toute particulière, entre les deux éléments
de laquelle est réservée une part pour le hasard.
Un troisième
élément arrive et établit l'harmonie entre les deux inspirations qui avaient
travaillé sans se consulter, mais sans tout fois s'ignorer.
Ce troisième
élément, c'est la personne féminine et son caprice.
De ce jeu perpétuel
entre trois fantaisies naissent tous les charmes de l'imprévu
a toute la
logique de la nature.
Rien n'est plus
attrayant que cette unité dans la diversité et en même temps rien de plus
conforme aux lois naturelles.
Il en est des
principaux courants de la fashion comme les grandes variations atmosphériques :
tous subissent les influences et chacun les subit a sa manière.
Si donc la Mode
suit la Couture, c'est sans action direct, tyrannique de l'une et de l'autre
mais dans l'instinct quasi infaillible, et libre inspiration.
La Mode est donc,
plus que la couture, un délicieux jeu de hasard,
tout en exigeant
non moins de volonté , d'invention, de gout , d'art en un mot.
La modiste est en
générale plus féminine encore que la femme, et la couturière un tant soit peu
plus virile.
La couturière est
expansive, la modiste est protocolaire.
En tant que
femme, la modiste cache son jeu, la couturière est relativement moins capable
de dissimulation.
Le nombre même
des modistes, sensiblement moins élevé que celui des couturières, leur procure
cette agréable illusion qu'elles forment une aristocratie, et comme elle
s'efforce
de le prouver par
leur maintien, leur tenue et leur tour d'esprit ,l'illusion finit par équivaloir
au fait ;
l'apparence se fortifie d'une armature de réalité acquise.
Ainsi naissent
ces fines et considérables nuances dans la démarche et dans l'abord.
Dire qu'une
modiste n'a jamais été vue dans la rue sans chapeau, en «cheveux»
comme les couturières
....
Un
chapeau, lorsque le principe en est trouvé, germe, pousse et éclot en trois ou
quatre heures.
Quel jardinier serait assez indifférent, assez insensible , pour
ne pas s'intéresser
malgré
lui a une fleur qui se développerait ainsi a vue d'œil ?
La
première invente les modèles nouveaux ;
la
formière construit l'armature générale de l'objet ;
L’apprêteuse
revêt ce squelette de tout ce qui constitue sa matière visible et sa couleur
fondamentale ;
la
garnisseuse achève de donner la vie en jetant là-dessus tout ce qu'il y a
d'original,
de
caractéristique et de précieux dans l'ornementation.
Tels
sont les quatre degrés , sans plus, de la genèse de ses fragiles fantaisies.
Les
opérations se poursuivent de manière continue, et comme coude a coude;
ces
collaboratrices ne se perdent jamais de vue, et l'œuvre souvent revient de
l' une à l'autre pour atteindre sa perfection .
Chacune
de ces ouvrières est exquise a voir travailler en son genre, tant elle met de
grâce,
d’application
et de décision dans chacun de ses mouvements.
Il n'est
jusqu'a la formière qui cependant opère sur les matières les plus ingrates,
sparterie
, mousselines raides, cartilages du squelette, comme le laiton en est le
système osseux ,qui ne soit en sa partie une artiste .
Sa tache
même est des plus importantes, puisque, comme dans toute œuvre d'art ,
la
première condition de la réussite est une construction solide et un mouvement
juste.
Le
mouvement, les modistes emploient fréquemment ce terme si bien choisis et si
complet,
Lorsqu’il
s'agit de la forme qu'elles ont donnée a une de leur ébauche.
Dans un
mouvement de ces armatures, on peut mettre infiniment d'esprit ou d' audace ,
de
souplesse ou de vigueur. Ce sont même, jusqu'a un certain point , l'allure de
ses lignes principales et le choix des directions, qui font ,soit dans la simplicité,
soit dans la complexité
reconnaitre
le genre des maisons différentes, plus encore que les garnitures elle-même.
L'apprêteuse
n'est pas moins remarquable par ses aptitudes multiples, son habileté a préparé
les fonds du tableau.
Les
tissus les plus divers, les matériaux les plus imprévus, passent entre ses
mains
et leur
obéissent a miracle, depuis les plus fragiles toiles d'araignées de tulles,
jusqu'aux
draps plus feutres, les velours les plus épais, les fourrures les plus
sauvages,
sans que
les premiers perdent rien de leur aérienne fraîcheur, et à la résistance
acharnée
des
autres se trouvant à la fin assouplie.
Il est
de ces tissus qu'un souffle ferait, croit-on, évaporer, et il en est qui casse
hargneusement les aiguilles.
L'apprêteuse
se fait un jeu de tout cela : l'étoffe est tendue comme une peau vivante
sur une
ferme musculature ,ou par des fronces d'une délicatesse indicible,
elle
devient comme une matière nouvelle, que la machine n'aurait jamais pu réaliser.
Alexandre Arsène
Alexandre Arsène